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13 mai 2013

Irak : Fallujah : Un enfant sur cinq naît avec des malformations

Année 11 de la catastrophe 
par Robert James Parsons, Le Courrier, 1er mai 2013

IRAK • Dix ans après l’invasion étasunienne, l’Irak continue de payer les expérimentations politiques et militaires des néoconservateurs. L’exemple de Fallujah, où un enfant sur cinq naît avec des malformations. 

Huit ans et demi après la bataille de Fallujah, on n’entre toujours pas aisément dans la ville martyre. La crainte d’enlèvements est invoquée par les autorités, mais d’autres raisons semblent peser davantage sur cette ville encore passablement marquée par la guerre.

Feurat Alani est un des rares journalistes à avoir enquêté sur place. Son film produit par Canal+ et sorti en 2011 Fallujah: une génération perdue? s’est concentré sur l’épidémie de malformations congénitales qui sévit dans la ville depuis la fameuse bataille de novembre 2004 qui opposa les milices islamistes à l’armée étasunienne. Une bataille durant laquelle les Etats-Unis auraient utilisé des munitions à l’uranium appauvri.

A Fallujah, ville natale des parents de Feurat Alani, un enfant sur cinq naît avec des malformations. La doctoresse chargée de la maternité va jusqu’à conseiller aux femmes de ne plus avoir d’enfants.

Pour atteindre la ville, qui se trouve à cinquante kilomètres de Bagdad, on passe vingt points de contrôle. Ensuite, pour y entrer avec une caméra, il faut trouver un parrain domicilié dans la ville et un garde du corps. Feurat Alani et ses compagnons avaient eux fait le choix d’entrer illégalement accompagnés par Abou Younes, ancien footballeur professionnel, résident de Fallujah.

Après l’invasion déclenchée en mars 2003, la ville, située dans le «triangle sunnite», devient un foyer de résistance. Le 31 mars 2004, quatre mercenaires de la firme Blackwater y sont tués, leurs cadavres traînés dans les rues puis suspendus à un pont. Le mois suivant, une première tentative de représailles lancée par l’occupant est repoussée par les Irakiens. La vraie attaque attendra la réélection de George W. Bush en début novembre. Peu après débute le martyre de Fallujah.

La ville est fermée, les habitants ont l’interdiction d’en sortir. Les bombardements n’épargneront ni les hôpitaux ni les quartiers résidentiels. La destruction est presque totale. Sept ans plus tard, la physionomie de la ville n’a que peu changé.

Phosphore blanc 

Le docteur britannique Chris Busby a aussi mené l’enquête. Pour lui, les dégâts sanitaires sont dus à l’usage de phosphore blanc, utilisation revendiquée par le commandement étasunien. Membre du Comité européen sur les risques de la radiation, Chris Busby estime que la fréquence et le sérieux des malformations ne peuvent être attribués qu’à l’utilisation d’un contaminant radioactif présent dans des bombes de destruction massive «tactiques». Selon lui, il n’a jamais existé un taux de dommage génétique si élevé dans l’histoire médicale, taux «nettement pire qu’à Hiroshima».

Le film de Feurat Alani s’achève par une visite chez Dai Williams. Cet analyste britannique, qui traque la fabrication et l’utilisation de ces armes depuis plus de quinze ans, penche pour l’utilisation probable d’explosifs «thermobariques». Ceux-ci, surnommés «faucheurs de marguerites» (daisy cutters), à la suite d’une première détonation, lâchent un mélange de poudre métallique et un carburant (d’où l’autre nom de fuel-air explosive) à une altitude prédéterminée. Une seconde explosion y met le feu.

Uranium

Ceux qui se trouvent sous la bombe sont carbonisés. Mais l’immensité et la force de ce feu absorbent tout l’oxygène de l’air dans un rayon d’environ cinquante mètres, réduisant instantanément la pression de l’air à 10% de la normal et tuant par asphyxie.

Très utilisées au Vietnam, ces armes ont été «perfectionnées» avec le remplacement de la poudre d’aluminium par... de l’uranium. Celui-ci brûle jusqu’à 6000° C, ce qui rend la capacité destructive «plus efficace».

Dai Williams a collectionné des centaines d’images tirées des films pendant l’invasion en 2003, mais aussi d’autres bombardements en Afghanistan et ailleurs. L’éclatement de l’obus d’un blanc brillant puis le dégagement d’une dense fumée noire sont des caractéristiques usuelles de ces armes, caractéristiques impossibles avec des armes conventionnelles.

Dans une récente entrevue avec Le Courrier, M. Williams a rappelé que les guerres que mènent les Etats-unis sont autant d’occasions de soumettre de nouvelles armes à des contrôles grandeur nature. Selon lui, les circonstances de l’assaut de Fallujah (foyer de résistance radicale contrôlé par les sunnites associés à Saddam Hussein) faisaient de la ville une cible idéale pour tester toutes sortes de prototypes en plus de la simple utilisation d’autres armes déjà «perfectionnées», le but étant de réduire la ville à néant.

Silence à l’OMS

En tout cas, les autorités ne paraissent pas décidées à faire la lumière sur ces évènements.  Le docteur Chris Busby a dû organiser son enquête en catimini; et lorsque le gouvernement irakien en a pris connaissance, il a déclaré les enquêteurs «terroristes» et menacé de prison toute personne y participant.  Mais le travail de terrain était terminé. 

En juillet 2010, Le Courrier avait demandé à l’OMS une réaction aux résultats de l’étude Busby. Mais l’organisation internationale avait opposé un silence complet tout en promettant une enquête en profondeur. 

En septembre 2010, Fadéla Chaib, porte-parole de l’OMS, annonçait au Courrier qu’une étude devant durer dix-huit mois avait commencé en juillet, dirigée par... le Ministère de la santé irakien «avec l’étroite collaboration de l’OMS». 

Les résultats devaient paraître en janvier 2012. On les attend toujours.

«Mission accomplie» en Irak? 

BILAN • Le 1er mai 2003, George W. Bush mettait fin à l’opération «Liberté en Irak» en prononçant son fameux «Mission accomplie». 

Dix ans après l’invasion étasunienne, si l’Irak ne défraye plus guère la chronique c’est que la violence et l’insécurité y sont devenues banales. Loin de la «libération» vantée par le président George Walker Bush, cette incursion a marqué le début de la destruction du pays.

Récemment, l’AFP a rapporté qu’au moins 16 000 personnes sont toujours portées disparues. Elle cite Arkan Thamer Saleh, chef du Département des affaires humanitaires du Ministère des droits humains, qui reconnaît que le vrai chiffre est vraisemblablement bien plus élevé, étant donné que bon nombre de disparitions ne sont pas signalées aux autorités. En dix ans, le nombre global de morts dépasse le million, les personnes déplacées cinq fois plus nombreuses. Et le carnage se poursuit. Depuis début avril, près de 500 personnes ont été tuées en Irak, dont la moitié en une semaine, selon un décompte de l’AFP.

Comment en est-on arrivé là? 

Pourquoi la reconstruction et la démocratie, proclamées le 1er mai 2003, n’ont jamais prospéré? Début mars, The Guardiana publié les résultats d’une enquête approfondie qui a abouti à un documentaire1 de cinquante et une minutes. Le film révèle une facette de l’intervention peu connue. Elle s’intitule «Option Salvador» et met en scène le colonel James Steele, commandant en chef de la «sale guerre» dans ce pays américain pendant les années 1980, envoyé en Irak pour importer ces méthodes antisubversives. En Irak, l’Option serait directement à l’origine des escadrons de la mort et des centres de torture afin de mâter la rébellion sunnite. Elle a abouti à la guerre sectaire qui déchire encore le pays.

Règlements de comptes

Au lendemain de l’invasion, la résistance émergea dans le camp sunnite. Majoritaires au sein du Parti baas, ils étaient les principaux perdants de la chute du régime. La stratégie de James Steele fut d’enrôler les chiites, qui avaient le plus souffert sous Saddam Hussein. Ceux-ci n’ont pas hésité à procéder à des règlements de comptes effroyables, le tout sous le direction de Steele et compagnie, soucieux d’atteindre et de «neutraliser» les acteurs de l’insurrection.

La carrière militaire du colonel Steele (dont le nom signifie «acier») remonte au Vietnam avant de passer par le Salvador. Des rapports sur son action en Irak étaient communiqués au président Bush par Donald Rumsfeld, chef du Pentagone, qui les recevait en direct.

Les documents rendus public par WikiLeaks sous le titre Iraqi War Logs corroborent les propos des témoins qui paraissent dans le documentaire. Selon certaines sources internes, c’est d’ailleurs la publication par WikiLeaks de films d’assassinats de civils (surtout celui d’un photographe de Reuters), qui a valu à Julian Assange de devenir l’ennemi numéro un des Etats-Unis.

Mais il y a une autre dimension, moins connue: le programme d’élimination des intellectuels irakiens2 afin d’empêcher l’émergence d’une société civile digne du nom, capable de mettre sur pied un gouvernement représentant les intérêts des Irakiens. Déjà, le 14 juillet 2004, Robert Fisk, journaliste chevronné et spécialiste de la région, signalait depuis l’Irak: «Le personnel universitaire soupçonne qu’il y a une campagne pour priver [le pays] de ses universitaires et achever la destruction de l’identité culturelle qui commença quand l’armée américaine entra dans Bagdad.»

Eliminer les intellectuels

A la fin 2012, le BRussells Tribunal donnait le nom et des informations sur 473 universitaires assassinés depuis l’invasion. Dirk Adriaensens, du Tribunal, relève que le mal n’est pas limité aux seuls meurtres car ceux-ci sèment la peur de manière à provoquer un effet amplificateur. Selon lui, depuis 2003, sur 34 000 médecins en Irak, 2000 ont été tués. Effrayés par cette violence, 18 000 praticiens auraient quitté le pays. Une proportion confirmée par un rapport de Medact daté de 2008 mais élargi à d’autres professions médicales.

L’International Medical Corps rapporte de son côté que la population d’enseignants à Bagdad a été réduite par 80%. Quant aux journalistes, ils seraient près de 400 à avoir perdu la vie. Si l’hémorragie semble enfin se tarir c’est que le gros des dégâts est fait.

L’état du pays et de ses infrastructures n’a jamais été si mauvais. Si, sous les sanctions qui suivirent la première guerre du Golfe, l’Irak semblait reculer au XIXe siècle, maintenant, le manque de tout, surtout d’eau potable, le rend invivable.

A la suite de la «libération», les Etasuniens proposaient de reconstruire le pays grâce à des projets menés par leurs entreprises. Les contrats ont bel et bien vu le jour, mais les résultats laissent à désirer.  Aucun n’a été mené à terme, pas même le célèbre hôpital Laura Bush. Et les vestiges de ces tentatives sont pour la plupart irrécupérables, selon le rapport que vient de publier Stuart Bowen3, enquêteur spécial de l’administration US chargé d’établir le bilan de ces contrats. Son verdict, publié début mars, est sans appel: trois quarts des projets inspectés dysfonctionnaient, dont une moitié gravement. Pas étonnant si l’on sait que sur les 60 milliards de dollars alloués au moins 8 milliards se sont volatilisés, estime l’inspecteur4.

Le rapport de M. Bowen s’appelle «Learning from Iraq» (Apprendre de l’expérience irakienne). On ne sait pas si les Etasuniens ont tiré le bilan de leur action, mais les Irakiens semblent, eux, avoir retenu l’amère leçon. RJP

1 James Steele: America’s mystery man in Iraq disponible sur http://www.guardian.co.uk/world/video/2013/mar/06/james-steele-america-iraq-video
2 Lire notre édition du 4 décembre 2007.
3 www.sigir.mil/learningfromiraq/index.html
4 Lire aussi nytimes.com (6 mars).

Collaboration: BPz

http://abomail.lecourrier.ch/pdfs/174f7af9f5709ef/LeCourrier_2013-05-01.pdf

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