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5 oct. 2015

Des médecins sonnent l'alerte sur les perturbateurs endocriniens

Des bébés "pré-pollués", selon l'Institut national du cancer
américain.  Crédit: [Ludovic Hirlimann / flickr.com]
« Il n’y a plus un congrès de gynécologie ou de pédiatrie où l’on ne parle pas des perturbateurs endocriniens. Mais il est difficile de mettre cela en pratique, car les médecins n’ont pas toujours le temps d’aborder le sujet avec leurs patientes. Le sujet est d’autant plus compliqué qu’il faut communiquer sans affoler ».

Des médecins sonnent l'alerte sur les perturbateurs endocriniens
par Romain Loury, Journal de l'environnement, 2 octobere 2015

Les gynécologues-obstétriciens sont vent debout contre les perturbateurs endocriniens : jeudi 1er octobre, leur fédération internationale a publié un premier appel en ce sens, où ils conseillent notamment aux femmes enceintes de manger bio. En France, les médecins peinent à s’y mettre.

Soutenue par deux associations, WECF et HEAL [1], cette déclaration de la fédération internationale des gynécologues-obstétriciens (Figo), publiée dans l’International Journal of Gynecology and Obstetrics à quelques jours de son congrès annuel à Vancouver (du 4 au 9 octobre), est sans conteste une nouvelle étape dans la reconnaissance de ce fardeau sanitaire. Premier appel médical de cette ampleur, il rappelle les dégâts liés à la pollution chimique pour la femme enceinte et l’enfant à naître, dont les médecins sont les premiers témoins.

Parmi les effets clairement imputés aux produits chimiques, dont les perturbateurs endocriniens, la Figo évoque « les fausses couches et pertes fœtales, les troubles de la croissance fœtale, le faible poids à la naissance, les malformations congénitales, les atteintes des fonctions cognitives ou du neurodéveloppement, les cancers de l’appareil reproducteur, la baisse de la qualité du sperme, les comportements de type troubles du déficit de l’attention et hyperactivité (TDAH), l’agressivité et l’hyperactivité chez l’enfant ».

>> Lire : Trafic d'influence à Bruxelles autour des perturbateurs endocriniens

Face à la forte hausse de ces maladies, la Figo demande « aux obstétriciens, sages-femmes, professions infirmières en charge de la santé des femmes et autres professionnels de santé d’agir rapidement pour prévenir l’exposition aux toxiques chimiques environnementaux ». Pour cela, il s’agit de mieux intégrer la santé environnementale dans les soins, qui en est pour l’instant la grande absente.

La fédération propose notamment aux médecins de conseiller, aussi bien aux couples souhaitant fonder une famille qu’aux femmes enceintes et allaitantes, « de consommer des fruits et légumes frais sans pesticides », mais aussi d’« éviter les fast-foods et les autres aliments transformés autant que possible, tout en limitant les aliments lourds en graisses animales [qui accumulent les polluants, ndlr] et les poissons contenant du méthylmercure ».

En pratique, un problème peu abordé

Dans les faits, les gynécologues-obstétriciens sont-ils réellement au fait du problème, et si oui, apportent-ils des conseils en conséquence à leurs patientes ? Depuis la fin des années 2000, « cela commence à être une question dans le monde médical, mais tous les spécialistes ne sont pas au courant de la même manière. Nous sommes encore une petite minorité à nous en préoccuper, à donner des conseils à nos patientes », observe le Dr Pascale Mirakian, endocrinologue et gynécologue à l’hôpital privé Natecia (Lyon), contactée par le JDLE.

Pourtant, « il n’y a plus un congrès de gynécologie ou de pédiatrie où l’on ne parle pas des perturbateurs endocriniens. Mais il est difficile de mettre cela en pratique, car les médecins n’ont pas toujours le temps d’aborder le sujet avec leurs patientes. Le sujet est d’autant plus compliqué qu’il faut communiquer sans affoler », poursuit-elle.

>> Lire : Les perturbateurs endocriniens coûteraient 157 milliards d'euros à l’UE

Interrogé sur sa propre pratique, Pascale Mirakian indique qu’elle préfère s’y prendre « oralement »:« je dis à mes patientes que si elles peuvent manger bio pendant leur grossesse c’est mieux, au minimum qu’elles pensent à peler les fruits et légumes. Je leur conseille aussi de faire attention à l’usage d’insecticides dans la maison, de RoundUp ou d’autres produits dans le jardin, au chauffage des emballages plastiques, à l’achat de nouveaux meubles ou au fait de repeindre la future chambre du bébé ».

Outre la Figo, la déclaration publiée jeudi est signée par les sociétés savantes américaine, canadienne et britannique, ainsi que par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Nulle trace en revanche de leurs homologues françaises: « je crois qu’on est retard sur le sujet en France, d’ailleurs on prend souvent comme exemple le Canada ou les pays d’Europe du nord », où la prise de conscience médicale est bien plus avancée, observe Pascale Mirakian.

L’Endocrine Society toujours plus convaincue

Trois jours avant la publication de l’appel de la Figo, l’Endocrine Society, autre société savante internationale, a publié lundi 28 septembre son deuxième avis scientifique sur les perturbateurs endocriniens, le premier remontant à 2009. Analysant la masse de nouvelles données publiées depuis, elle estime qu’il « n’existe plus de doutes quant au fait que [ces substances] contribuent à la recrudescence des maladies chroniques, dont l’obésité, le diabète, les troubles de la reproduction, les problèmes thyroïdiens, les cancers, les troubles hormonaux et neurodéveloppementaux ».

L’Endocrine Society recommande à ses membres de continuer à « informer le public, les médias, les politiques et les agences gouvernementales sur les moyens de laisser les perturbateurs endocriniens à l’écart de l’alimentation, de l’eau et de l’air, et de protéger en particulier les enfants ».

>> Lire : Les perturbateurs endocriniens présents dans deux salades sur trois

Évoquant plusieurs pistes de recherche pour les 5 prochaines années, elle estime qu’il faut accélérer l’engagement scientifique à cet égard, car les coûts en seront bien moins élevés que ceux de la prévention et du traitement des maladies. Selon une évaluation publiée fin mars, ces substances coûteraient chaque année à l’Europe 157 milliards d’euros d’un point de vue médical.

Face à un tel consensus scientifique, la réponse politique se fait toujours attendre. Si l’on excepte le bisphénol A, dont l’UE a à grand-peine interdit l’utilisation dans les biberons, la question des perturbateurs endocriniens demeure au point mort à Bruxelles. Prévue pour mi-décembre 2013 par le règlement n° 1107/2009 sur les pesticides, les critères de définition de ces substances, que l’industrie espère assouplir au maximum, se fait toujours attendre.

[1] WECF : Women in Europe for a Common Future. HEAL: Health and Environment Alliance.

Cet article a initialement été publié sur le site du JDLE.

http://www.euractiv.fr/sections/sante-modes-de-vie/des-medecins-sonnent-lalerte-sur-les-perturbateurs-endocriniens-318190

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