Mieux Prévenir

Comprendre le rapport entre la santé et l'environnement pour mieux protéger nos enfants et les générations futures.

13 juin 2017

Quand le smartphone fait de l’ombre au bébé

[Notre commentaire, publié dans le "Courrier" de la Tribune de Genève, le 15 juin : 

"Nous remercions la Tribune de Genève pour son article sur l’utilisation des smartphones dans les salles d’accouchement. En raison de leurs petites têtes, les bébés et les jeunes enfants sont plus vulnérables au rayonnement qui pénètre plus profondément dans leur cerveau. Les téléphones portables ainsi que d'autres technologies sans fil - Wi-Fi, tablettes - devraient être exclus des services de maternité et de pédiatrie des hôpitaux.

"Trop souvent, on voit des jeunes mères dans les rues et sur les transports publics utilisant leurs téléphones portables trop près de la tête de leur bébé. Nous avons la responsabilité de protéger les bébés et les jeunes enfants, qui n’ont vraiment pas leur mot à dire s’ils souhaitent ou non être exposés à des rayonnements en raison du comportement égocentrique de leurs parents."

Quand le smartphone fait de l’ombre au bébé
par Céline Garcin, Tribune de Genève, 13 juin 2017

Accouchement : De plus en plus de parents mitraillent leur enfant avant même de le porter. Les professionnels réfléchissent à des mesures.

Le constat est unanime parmi les professionnels de la santé: de plus en plus de parents font un usage abusif de leur smartphone dans les maternités, altérant ainsi les premiers contacts avec leur bébé. A tel point qu’un hôpital alémanique impose désormais des siestes mères-enfants sans écran, rapportait récemment le Tages-Anzeiger. A Genève, aucune mesure de ce type n’a été prise à ce jour. Mais beaucoup de sages-femmes et de spécialistes de l’enfance sont conscients du problème et seraient favorables à davantage de sensibilisation.

Le phénomène n’est pas nouveau, mais il va en s’amplifiant «depuis deux ou trois ans», estiment plusieurs professionnels. Il concerne avant tout «la nouvelle génération» de parents: les trentenaires et les plus jeunes. Les situations qui alarment les spécialistes se recoupent. Toutes mettent en scène des parents dont l’attention est davantage accaparée par leur smartphone que par leur bébé. Parmi les plus courantes: des femmes qui postent des photos d’elles «en travail» sur Facebook, des pères qui répondent au téléphone pendant que leur femme accouche ou qui annoncent la naissance de leur bébé sur WhatsApp avant même de l’avoir pris dans les bras.

Sages-femmes dépassées

Face à cette incursion des écrans, beaucoup de sages-femmes se sentent dépassées. «Au début, nous demandions aux parents d’éteindre leur téléphone en salle d’accouchement, mais cette habitude s’est peu à peu perdue. Les téléphones font complètement partie du quotidien des gens, cela devient très difficile de les interdire», regrette Laurence van Baalen, sage-femme chargée d’encadrement et des pratiques cliniques en salle d’accouchement aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). De leur propre chef, certaines praticiennes «recadrent gentiment» les pères qui cherchent à fuir derrière leur écran ces instants à forte intensité émotionnelle. «C’est dommage qu’un moment aussi intime qu’une naissance soit pollué par un tas de sollicitations extérieures», souligne la sage-femme.

Pour l’heure, les HUG n’ont pris aucune mesure. Chaque praticienne agit comme bon lui semble. Laurence van Baalen estime toutefois qu’il serait judicieux de préciser la position de l’institution. «Sans pour autant interdire complètement les smartphones, certains comportements devraient être proscrits, détaille-t-elle. Nous pourrions informer les parents de ces règles à leur arrivée à la maternité ainsi qu’à travers une brochure qui leur rappelle que moins ils utiliseront leur téléphone, plus la rencontre avec leur bébé sera belle.» Fanny Perret, sage-femme indépendante, suggère en outre de mettre à disposition des parents des boîtes dans lesquelles ils pourraient déposer leur téléphone s’ils le souhaitent.

SMS et Internet durant la tétée

Le problème ne se limite pas à la salle d’accouchement. «Beaucoup de mamans se servent de leur smartphone lorsqu’elles allaitent, elles sont par conséquent moins attentives aux besoins de leur bébé et oublient parfois de le stimuler», observe Sarah Aghedo, praticienne indépendante.

Si envoyer un ou deux SMS pendant la tétée ne dénaturera pas la relation maternelle, où se situe la limite? Toute la difficulté du problème réside là: il est très compliqué d’identifier à quel moment une utilisation devient problématique. «Les smartphones englobent tout aujourd’hui, souligne Nathalie Piguet, qui travaille à l’Arcade sages-femmes. Les mères les utilisent pour calculer la durée de la tétée et y enregistrent tout un tas de données qui concernent leur bébé. La tentation est alors forte de profiter de ces occasions pour répondre à des messages ou jeter un œil aux réseaux sociaux.»

«Pas de place au ressenti»

Au-delà du risque de dépendance et d’altération du lien avec l’enfant, les spécialistes attirent l’attention des parents sur la fatigue générée par les écrans. «Certaines mères n’arrivent plus à se reposer, elles sont sans cesse sollicitées par leur bébé ou leur téléphone», explique Nathalie Piguet se souvenant d’une patiente qui avait dû se faire hospitaliser après «avoir perdu les pédales». Pédiatres comme sages-femmes mettent par ailleurs en garde contre les «fausses anormalités» créées par certaines applications. «Tout cela ne laisse plus beaucoup de place au simple ressenti», résume Fanny Perret, sage-femme indépendante.

Les spécialistes se retrouvent alors face à un dilemme: doivent-ils informer les parents de cette nouvelle problématique au risque de les culpabiliser ou fermer les yeux et réagir uniquement en cas d’abus avéré? Les positions à ce sujet divergent. Si les cliniques privées privilégient clairement la deuxième option, les HUG et les sages-femmes indépendantes se dirigent vers la première. Mais avec ses garde-fous. «Nous ne devons pas être extrêmes dans nos recommandations, mais plutôt souligner la valeur du lien direct parents-enfants», résume Nathalie Piguet.

Des enfants turbulents ou en retrait
Au-delà des potentiels effets néfastes des ondes, c’est la détérioration du lien parents-enfants qui alerte les professionnels. Si à ce jour aucune étude scientifique n’a été réalisée sur le sujet, les spécialistes préviennent déjà qu’un usage abusif des smartphones par les parents a des conséquences sur le développement de leur progéniture.

«Les enfants dont les parents sont accaparés par un écran ont tendance à devenir plus irritables ou au contraire à se renfermer», observe Daniel Schechter, médecin responsable de l’unité de liaison et de la recherche parents-enfants aux HUG. François Hentsch, pédopsychiatre au Service de guidance infantile des HUG, explique que ces comportements résultent du décalage entre «le signal envoyé par l’enfant» et «ce qui est perçu par le parent». «Comme le parent ne réagit pas tout de suite lorsque l’enfant cherche son attention, ce dernier va monter le ton, détaille le médecin. Soit cela fonctionne et l’enfant prend l’habitude de surréagir. Soit le parent se met en colère et l’enfant comprend qu’il vaut mieux qu’il se taise. Il se met alors petit à petit en retrait.» Dans les cas les plus graves, des troubles du langage et affectifs peuvent se développer.

Les spécialistes rappellent que les bases des interactions se mettent en place dès les premiers mois de vie. «L’enfant se construit à travers le regard des parents», souligne François Hentsch. Les pédopsychiatres conseillent aux parents d’utiliser dans la mesure du possible leur smartphone lorsque leur enfant dort. Que faire en cas d’urgence? Verbaliser et expliquer sa non-disponibilité à l’enfant, suggèrent les spécialistes.
C.G.

L'expérience des maisons de naissance

Les maisons de naissance ne sont pas, ou peu, confrontées à la problématique des smartphones chez les jeunes parents. «Les personnes qui viennent chez nous cherchent une prise en charge alternative, elles sont rarement accros à leur portable», explique Méline Leca, sage-femme à la Roseraie. La praticienne souligne que l’ambiance calme de la maison aide également les parents à «créer leur bulle» et «décrocher du monde extérieur». L’absence d’anesthésie péridurale favoriserait en outre «un état d’hypervigilance» chez la femme. «Avant l’accouchement, on conseille aussi aux parents d’attendre avant d’annoncer la naissance à leurs proches pour pouvoir profiter des premières heures seuls avec leur bébé», ajoute Méline Leca. La sage-femme, qui a travaillé plusieurs années aux HUG, est toutefois consciente qu'il est plus difficile de se couper des sollicitations extérieures dans «l’environnement plus stressant de l’hôpital». C.G.

http://www.tdg.ch/geneve/smartphone-ombre-bebe/story/15420545

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